« Qu'est-ce que tu fais ce soir ? » Il vient à peine de s'asseoir en face de moi, sans un bonjour, sans formule de politesse quelconque, c'est tout Roman. Débarquer au moment le moins propice pour me demander de l'accompagner dans une autre de ces soirées mondaines, histoire qu'il ait une bombe brune à ses côtés. Se faire remarquer et se démarquer au milieu des autres héritiers qui traînent leurs compagnes, cheveux dorés aux iris bleutés, telle une armée de poupées russes. « Qu'est-ce que tu me proposes de mieux que mes révisions de cours ? » je rétorque, soulevant le bouquin de sociologie que je m'efforce de lire en long en large et en travers « je t'emmène dans un endroit inconnu poupée, je passerais te prendre à vingt-trois heures, et fais-toi la plus belle possible.. » il me sourit, mystérieusement et se lève pour quitter la bibliothèque avant de se pencher une dernière fois vers moi « oh, et par la plus belle possible, j'entends la plus sexy de tout Saint-Pétersbourg, comme tu sais si bien le faire.. » Je lève les yeux au ciel « tu fais toujours ressortir mon mauvais côté Woodsen » « et j'en suis fier Kovalenko ». Je ne pose pas plus de questions, je connais Roman, qu'importe ce qu'il me propose, ça vaut toujours le coup et malgré le sérieux et l'assiduité que j'apporte ardemment à mon cursus scolaire, je n'ai jamais refusé une sortie entre amis.
 

*** a few hours later ***

 
« entends-moi bien Woodsen, jamais je n'entrerais dans ce lieu de luxure débauché post-traumatique pour salopes en devenir et hommes à la libido débordante, est-ce que je me suis bien faite comprendre ? » « tout doux tigresse, je veux pas te vendre au plus offrant, je veux juste qu'on passe un bon moment, allez quoi, t'as coincé ton audace entre deux fiches d'anthropologie ? ». Touchée. On ne blesse pas une Kovalenko dans son orgueil et c'est tout juste ce qu'il vient de faire. Aussi, j'enlève ma veste noire qui couvre mes bras ainsi que mon dos nu et je la tends à Roman. Perchée sur mes talons bas de gamme, je lui lance un regard sombre mais défiant et je passe devant lui, lui intimant de me suivre à l'intérieur. Et là, un tout nouveau spectacle s'offre sous mes yeux. Sexe, argent, femmes, hommes, corps, sexe. Le ton est donné. Je reste paralysée face à ça. Pas mon domaine. Pas ma place. Roman semble le percevoir. « Ok, je vois que mademoiselle a besoin de se détendre, j'vais au bar, j'nous ramène de quoi se mettre dans l'ambiance. La nuit nous appartient, honey ». Je le vois s'éloigner. Non, reste près de moi. Connard. Pourquoi tu m'emmènes dans ce lieu qui suinte la transpiration d'un remake porno de Dirty Dancing ? Je les vois m'épier, me détailler, sûrement imaginer les découvertes à faire sous le peu de vêtements que je porte. Je deviens une proie, chassée, traquée et je n'ai aucun moyen de m'en échapper, un homme vient vers moi.
 
« Les roses sont rouges.. les violettes sont bleues.. vous êtes nouvelle j'en suis persuadé, j'aurais mémorisé un si beau visage et ses courbes si.. affreusement désirables » me susurre-t-il à l'oreille tandis qu'il passe sa main sur ma cuisse, presque trop délicatement. « Je ne suis pas celle que vous pensez » Je rétorque, stoïque, le souffle court. « C'est encore plus excitant alors.. que diriez-vous d'un endroit plus intime, propice à la.. discussion ? » « Je.. » Il me couple le sifflet en glissant dégueulassement un billet de deux cent balles dans mon décolleté. « Imagine ce que tu pourrais obtenir si on faisait un peu plus que discuter ? » L'appel de l'argent facile. Je n'y ai jamais vraiment songé. C'est si tentant. Si indécent. Si soudain. « Pourquoi ne pas nous trouver cet endroit plus intime ? J'ai besoin de dire deux mots au grand patron » je lâche, sur un ton suave, attrapant le « client » par le col et glissant mes lèvres sur les siennes, sans trop y penser. Puis je me sauve, en direction de l'administration. Je devais me faire engager ici, l'opportunité était à saisir, ô combien sale elle pouvait être. En chemin, je croise Roman qui m'attrape par le bras. « Hé, où est-ce que tu cours comme ça ? » j'adopte un sourire mi-mystérieux, mi-racoleur « Comment dire ? Les talons de supermarché vont bientôt switcher avec les dernières Gucci babe. Ne m'attends pas pour rentrer ». Je lui adresse un clin d’œil. Il aurait tort de protester, de dire quoi que ce soit. Il m'a amené ici. Il en est le seul responsable. Et je suppose qu'il en a pleinement conscience, et que ça le réjouit.
 

Je rentre à peine chez moi. Pour déculpabiliser de mes activités nocturnes, je passe beaucoup de temps à la bibliothèque. Pauvre petite Nastasya, elle étudie vraiment trop. Elle devrait sortir, voir du monde. S'ils savaient. Je m'apprête à prendre une douche, réfléchissant à mes plans pour la soirée. Je ne travaille pas ce soir et employer le mot « travailler » n'est-il pas un peu prétentieux quand finalement le travail ne vous procure que des avantages, on pourrait aisément qualifier ça de loisirs. Je lève les yeux au ciel, je me surprends moi-même à avoir des pensées obscènes. La Rose Rouge déteint plus que ce que je croyais. Serait-ce une secte hypnotique sous ses allures de bordel faussement friqué et guindé ? Je ne sais pas. Peu importe. Mon téléphone sonne juste avant que je n'entre dans la cabine, il affiche Oks, une amie, camarade de classe. Un sourire s'affiche sur mon visage, je viens de trouver ma partenaire pour la soirée. Je décroche, enchantée par son coup de fil, bien moins par la nouvelle qu'elle m'annonce après les politesses habituelles. Sa bourse d'étude est suspendue et l'entendre se plaindre me donne une idée. Je la stoppe tout net, l'interrompant dans une tirade sur l'utilité des études. « Bichette, tu as besoin de te changer les idées. On s'rejoint à la boîte habituelle. De quoi s'amuser tout en essayant de trouver une solution. » C'était tout moi, dédramatiser la situation devant quelques shots vodka-citron – mon parfum préféré. Je lui raccroche presque au nez, qu'elle n'ait pas le temps de protester et je commence à me préparer. Tenue sobre, sexy, classe mais pas vulgaire. La vulgarité, on l'a laisse au placard, même au sein de la Rose Rouge, sauf si un client en décide autrement, évidemment. Une fois devant le night-club, j'attends Oksana, ne manquant pas de me faire remarquer par les mâles qui traînaient dans le coin. Pitié, que l'un d'entre eux ne soit pas un potentiel client. Je la vois descendre d'un taxi. Bien. La soirée va pouvoir commencer. « Tu es sublime, comme d'habitude » « Que devrais-je dire de toi Oksana ! Les hommes n'ont déjà d'yeux que pour toi » Un mot doux glissé au videur, comme d'habitude, et nous entrons comme des reines au sein de ce club, comme si avec nous à l'intérieur, la soirée allait vraiment battre son plein. Des verres offerts, des danses endiablés, les inconnus alcoolisés sont tellement faciles à utiliser et je dois dire que j'en profite, pour une fois que ce n'est pas le contraire. Après tout ceci, une pause s'impose et une table se libère, table que nous accaparons immédiatement. Je dois parler à Oksana. Maintenant. Je nous commande deux autres verres, un bon moyen de la détendre et de la préparer à ce que je vais lui dire. « écoute, Oks. Je sais que ce n'est pas trop ton genre mais je connais un bon moyen de te faire de l'argent rapidement » « vas-y, je t'écoute. C'est exactement ce dont j'ai besoin » Je baisse les yeux, sur mon verre avant de reprendre la parole, redressant la tête. Je sais que je joue avec le feu. Je ne veux pas perdre son amitié, je ne veux pas non plus qu'elle me voit différent de ce que je suis. Qu'elle me perçoive comme une traînée. Pourtant, elle aurait raison si elle affirmait que je suis vraiment prête à tout pour garder ma place au sein de cette école. Et après tout, elle poursuit le même objectif, elle aussi. Sinon, pourquoi lui proposerais-je cette solution ? Cette seule, efficace, extrême et unique solution. « ne me remercie pas trop vite. Tu connais la Rose Rouge ? Enfin, tu as au moins dû en entendre parler... Je sais qu'ils recherchent des filles... de notre âge » Je lui tendais une perche. Je pense que je n'avais pas besoin d'aller plus loin et lui poser la question de but-en-blanc. Elle était intelligente, elle allait comprendre où je voulais en venir. Un ange passe et elle daigne me répondre, un peu froidement. « comment as-tu entendu parler de cela ? » « écoute, Oks, pour être franche avec toi, ça fait deux ans que j'y travaille. Je serais incapable de faire des études sinon... tu crois que j'ai eu mon Birkin comment ? » Je déclenche un petit rire. Nerveux ou pas, elle me sourit et me promet d'y réfléchir. Soulagement. Je ne veux que son bien. Quelques jours plus tard, sa décision était prise, elle acceptait. Je lui faisais alors une promesse, personne ne le saurait, personne n'aurait de doutes. Tout ceci resterait entre elle et moi et en dehors de la Rose Rouge, cela n'existerait même pas.