On ne choisit pas sa famille. Pour autant, j’aurais tout donné pour avoir cette chance-là. Mon père était un homme intransigeant. Je me demande même si il a, un jour, su ce que signifiait le mot amour. Je me demande même pourquoi il s’est marié et qu’il a fondé une famille. A moins que ce soit depuis ma naissance qu’il se montre aussi odieux ? Je n’en sais rien et peut-être que je m’en fous. Tout ce que je sais c’est qu’il a détruit ma famille. Je le revois encore se disputer avec ma sœur à propos de son copain. Il ne l’a jamais apprécié. De toute manière, il n’a pas cherché à le comprendre. A ses yeux, ma sœur était amoureuse d’un abruti qui ne méritait aucunement d’entrer dans la famille. Alors quand Ludmila a annoncé à mon père qu’elle se marierait avec Anton qu’importe sa décision. Il lui a montré la porte. Je me souviens de la violente dispute qui a éclaté le soir-même entre mes parents. Un véritable calvaire. D’après ce que je sais, Ludmila est partie aux Etats-Unis. On n’a plus du tout eu de nouvelles d’elle et je ne peux pas lui en vouloir. C’était le seul moyen qu’elle avait pour vivre avec l’homme de sa vie.

Matveï. Mon frère aîné. Le second de la famille. J’étais très proche de lui. Nos disputes étaient plutôt rares. Dans l’ensemble, c’était le calme incarné dans la maison alors que moi, j’étais plutôt explosif. C’était grâce à Mat’ que je n’avais pas encore pété un plomb face à mon père. Il y avait trois ans d’écart entre lui et moi. Un soir, je me rappelle avoir compris que mon frère était attiré par les hommes. Je me remémore son regard glissant sur un serveur vraiment canon. Malgré sa discrétion, mon père avait capté ce geste et je voyais une lueur de colère s’allumait dans ces yeux gris acier. Pourtant, il ne se passa rien une fois qu’on était à la maison. Je trouvais ça bizarre. Ce n’était pas dans ses habitudes et je compris dès le lendemain que mon géniteur avait changé de tactique. Pendant une semaine entière, il lança un nombre incalculable d’horreurs sur les gays, de piques toutes plus vicieuses les unes que les autres. Ce qui devait arriver arriva… Le gentil Matveï à la force de caractère invisible avait plié bagages aux premières lueurs du jour. Quelque part, une voix me dit qu’il n’est plus de ce monde et j’ai tendance à la croire.

Instinct Maternel. J’admire ma mère, j’admire sa patience, ce qu’elle est capable de faire pour ses enfants et par-dessus tout, j’admire le courage qu’elle a eu d’affronter mon père. J’étais le dernier enfant dans la maison et il était bien décidé à me faire subir le même sort. Il cherchait juste le bon moment pour ça. Des raisons ? Il en avait mille pour me foutre dehors. Je passais mon temps à le provoquer, à l’amener sur des terrains qu’il ne connaissait pas. J’étais insolent et ça l’insupportait. Sauf que rien ne se passa comme prévu. Ma génitrice avait découvert que mon père la trompait depuis des mois avec une blonde plus jeune que lui. Une pluie de reproches s’abattit sur le chef de la famille sans qu’il ne la voie venir. Pendant ce temps, j’étais en train de boucler mes valises, embarquant toutes mes affaires et un papier tomba dans tout ce bordel. Une adresse écrit de la main de ma mère. Celle de mon oncle à Saint-Pétersbourg. Je n’ai jamais su la vérité, mais quelque chose me dis qu’elle a invoquée cette histoire de tromperie pour me laisser le temps de fuir. Car, elle avait conscience que les choses se seraient passé très mal si mon père avait suivi son plan. Comme un séjour à l’hôpital par exemple. Le clan Anjeski n’était pas connu pour sa violence mais, j’avais tellement défié le chef de la maison que j’aurais été l’exception qui confirme la règle.

Saint-Pétersbourg. A l’instant même où j’ai posé le pied dans cette ville, j’ai eu le coup de foudre. Je me revois essayant d’accrocher mon regard sur chaque bâtiment, chaque place… J’ai dû rester émerveillé pendant une bonne dizaine de minutes avant que mon oncle me rejoigne à la gare. Une nouvelle vie semblait s’offrir à moi et je le suivis de bonne grâce. Sauf que mon envie de m’émanciper de ma famille devenait de plus en plus forte… J’avais besoin d’une certaine indépendance que le frère de ma mère n’était visiblement pas prêt à me donner. Je n’avais que quatorze ans, j’étais encore un adolescent à ses yeux. Ce qui était vrai mais, j’étouffais malgré tout. Je sortais de plus en plus souvent. De plus en plus tardivement. Je devais avoir quinze ans quand j’ai rencontré une fille avec qui j’avais partagé quelques nuits… Puis, j’avais envie de tester de nouvelles choses. Hommes, femmes, j’avais appris à les aimer de la même manière. Il y avait tant de beauté dans ce monde. Pourquoi était-on obligé de choisir ? Pourquoi devait-on absolument rentrer dans des cases ? Je savais que j’étais différent de la majorité des gens et j’étais bien décidé à assumer cette différence.

La rose rouge. J’avais déjà entendu parler de cette maison close via des bribes de conversations volées, des ragots, des soupçons de femmes persuadés que leurs maris allaient chercher du plaisir là-bas. J’avais toujours été intrigué par cet endroit, tellement une atmosphère tellement particulière, ne laissant personne indifférent. Je désirais la visiter, connaître chaque recoin de cet endroit. Pour un garçon voulant absolument garder sa liberté, c’était plutôt troublant. Un soir, l’homme que je fréquentais depuis un bon mois, à présent, avait décidé de se rendre là-bas. Il me proposa de le suivre, ce que j’acceptais. Mon instinct me soufflait que si j’entrai dans cette demeure qui m’attirait inexorablement, je n’en ressortirai pas. Qu’importe. Au final, j’avais eu raison. A présent, cela fait cinq ans que je suis ici. Je sais que tout le monde ne se plaît pas ici. Certains rêvent de liberté, souhaitent la fermeture de cet endroit ou que sait-je encore. Pas moi. J’ai trouvé ma place ici. Je vends du rêve, je vis de plaisir… Ma famille ? Je n’ai plus de nouvelles d’eux. Mon père doit me considérer comme un véritable débauché. Tant pis. Il n’a jamais eu une once d’estime pour moi. Le seul regret que j’ai ? Ma mère probablement… J’espère juste qu’elle va bien.