Un regard à sa montre lui indique qu'il est déjà tard ou encore tôt, c'est au choix. Le suivant lui rappelle que l'espace inoccupé à côté d'elle le restera cette nuit encore. Elle ne les compte déjà plus de toute façon, ces nuits où elle s'endort seule dans le lit conjugal. Elle ne sait de toute façon même pas si cela vaut encore la peine qu'elle se batte pour cet homme qui est devenu un étranger pour elle. Si différent de celui qu'elle a aimé et épousé une décennie plus tôt, qui n'est même plus l'ombre de lui-même. Ils étaient pourtant heureux. Ou du moins à ses yeux, ils l'ont été. Mais elle n'est pas dans sa tête après tout. Elle aimerait ne pas être dans la sienne cependant car même si elle est incertaine sur ce qu'elle veut ou ne veut pas faire, elle, elle n'est pas indifférente. Pas quand personne n'est là pour l'observer en tout cas. Elle se souvient que son père lui a toujours dis que personne ne méritait ses larmes et elle a toujours suivit son conseil, le plus possible en tout cas mais comment faire l'impasse sur dix années de sa vie ? Elle aimerait en avoir la réponse mais cette dernière, toute garce qu'elle est, la fuit avant même qu'elle ne puisse l'apercevoir.

C'est une situation à laquelle elle n'a clairement jamais été préparée par le passé. Premier enfant de ses parents, elle née quasiment une cuiller en argent à la bouche. Elle ne manquera de rien en tout cas et recevra une éducation rude mais toujours juste. Son père est un homme érudit et sa mère est d'une beauté rare. Elle est donc le parfait mélange des deux car très vite elle se montre curieuse et plutôt douée. Tout ce que ses parents n'ont pas eut à son âge, ils se font un devoir de l'offrir à leur fille et à leur fils quand celui-ci viendra au monde cinq ans plus tard. Lenora est une gamine intelligente, personne n'en a jamais douté et elle passe une grande partie de ses après-midi à jouer avec son père aux échecs plutôt qu'à la poupée comme le font les petites filles. Bien sûr, elle perd, elle n'est pas de taille face à son père mais ce dernier est un professeur inné car il instille chez sa fille cette envie de toujours voir plus loin, cette volonté de toujours gagner.

C'est donc un étrange sentiment pour elle de se sentir incapable de faire l'un ou l'autre présentement. Elle n'a plus envie. Elle n'a plus de volonté. C'est un constat, une certitude et pourtant... Elle a toujours été une femme capable d'obtenir ce qu'elle voulait quand elle le voulait, usant de ce que Dame Nature lui avait offert: un cerveau bien fait et un visage avenant. Mais la flamme des premiers temps est éteinte, il semblerait. Pour lui en tout cas. Elle n'est pourtant pas une femme qu'on peut qualifier de laide, bien loin de là même. Elle fait encore tourner pas mal de tête et elle le sait. Mais le doute s'installe. Et ça n'est pas quelque chose dont elle a l'habitude. Elle n'est pas une de ces femmes qui ont besoin d'aide, qu'on l'on doit dire quoi faire ou penser, qui a besoin de quelqu'un pour exister mais malgré tout, un vide se créé en elle et rien, même pas ce verre de pur malt de trente ans d'âge ne peut le combler. Ce vide n'a pas lieu d'être en plus, puisqu'il n'y a plus vraiment grand chose à faire visiblement. Elle n'est pas idiote, elle sait que d'autres draps l'attendent sûrement ailleurs à l'heure qu'il est. Elle devrait lui en vouloir, n'importe quelle autre lui aurait déjà claqué la porte au nez mais Nora n'est pas n'importe qui. Et bien entendu, c'est bien la que réside tout le problème, pas vrai ?

Mais ce soir elle ne veut plus penser à rien. Elle ne veut plus se demander s'il vaut encore qu'elle pense à lui, à eux, à ce qu'il est ou était pour elle, ce qu'elle peut encore être pour lui. Ce soir elle veut tout simplement fermer les yeux, comme elle voudrait pouvoir le faire sur tout le reste. Aucun doute, le liquide ambré que contient la bouteille qui est à portée de sa main va l'y aider. C'est une défaite en soi, c'est vrai, mais elle a aussi appris que certaine bataille ne valait pas d'être gagnée. Devrait-elle faire une scène ? Lui rendre la monnaie de sa pièce ? Très probablement oui. Elle le ferait. Peut-être. Ou peut-être pas. Pour le moment, tout ce qu'elle veut, s'est en finir avec cette journée qui n'a été qu'une pale copie de la précédente. Perdre le contrôle n'est jamais facile, surtout pas quand on a toujours su se bercer dans l'illusion qu'on l'avait. A ça aussi, elle décide de boire. Et si tout ça n'était qu'un mauvais rêve... Elle sait que ça n'est pas le cas, le nœud qui lui serre l'estomac est bien réel. Mais comme dit, avoir le cœur brisé est un bon signe. Ça veut dire qu'on a au moins essayé. Et c'est sur cette note là que le sommeil finira par l'emportée après un autre verre et un autre regard à cet anneau autour de son doigt qui ne veut plus dire grand chose à présent et qui pourtant y trône encore.