Nous sommes dans la voiture. Il conduit et je suis côté passager. « On arrive bientôt. » Je ne pleure plus. Mes yeux sont trop secs, mais je n'abandonne pas. « Pitié Pasha, ne m'emmène pas là-bas.. » Lui dis-je en le suppliant du regard alors qu'il se gare devant l'établissement. « Désolé, mais c'est comme ça. » Pour faire ça vite, le proxénète s'active et me trimballe brusquement jusqu'à l'intérieur de ma nouvelle maison. La Rose Rouge. L'endroit est magnifique, très luxueux. Il le faut bien, pour masquer le véritable aspect de ce lieu répugnant. Je vois des hommes en costume dévisager des femmes en petite tenue. Ils les observent comme s'ils choisissaient des fruits dans un marché. Pasha m'a expliqué que ça se passait comme ça ici. Les hommes font leur choix, puis démontent leur élu dans une chambre, à l'abri des regards de la loi. Et ça, c'est ce qui m'attend. J'ai envie de vomir tellement je me sens mal. « Tu ne dis rien, tu me laisse parler et tu restes tranquille, okay ? » Un homme avec une carrure imposante s'approche de nous. Monsieur Petrovsky, le grand patron contre lequel Belov m'a mise en garde. « Pasha, quelle sublime créature tu nous ramènes aujourd'hui. Matveï, conduis-la dans sa chambre. Qu'elle se prépare vite. » Il me scrute sans arrêt depuis qu'il est entré dans la pièce, et s'autorise même à caresser ma joue. « On va la mettre dans le bain tout de suite. » Son homme de main m'attrape par le bras et me conduit dans une chambre où des femmes viennent s'occuper de moi. Elles me douchent et m'habille, comme une putain. Une robe trop courte, un décolleté qui me descend jusqu'au nombril, des talons de quatorze centimètre, au moins, et un maquillage bien vulgaire. Une heure après, on me jette dans la fausse aux lions et mon regard croise le sien.

Il est là, assit dans le coin. Les yeux pointés sur moi. Je suis au bar et nous ne cessons pas de nous observer. Dans la lumière sombre du boxe, je le trouve séduisant, même très attirant. Il ne me sourit pas. Pas une seule fois, il se contente juste de me considérer, longuement, avant de se lever et de me rejoindre brusquement. À l'oreille il me chuchote : « Viens avec moi. » À toute vitesse il agrippe mon bras et m'accompagne à l'étage. Sur le moment, je crains d'être tomber sur le genre de monstre contre lequel Pasha m'a mise en garde, mais impossible d'en réchapper. Nous nous retrouvons tout deux dans une chambre. L'inconnu ne dit pas un mot, il se contente de s'asseoir dans le fauteuil unique de la pièce et me regarde, comme tout à l'heure. Je me tiens debout devant lui, le fixant de la même manière. Comment un être aussi répugnant peut-être aussi beau, aussi, sexy. Aller, c'est le moment. Souviens toi de ce que Pasha t'a appris. Je tremble de tout part, en défaisant les attaches de ma robe. D'une seconde à l'autre, je me retrouve nue face à cet homme dont j'ignore le nom. Le spectacle que j'offre ne semble d'ailleurs pas tellement l'intéresser vu qu'il reste de marbre. Pas un geste, ni même un mouvement de cil. Ses yeux parcourent seulement mon corps, mais rien de plus. Si je ne l'intéresse pas, pourquoi m'avoir choisi en bas ? Nous sommes restés là. Sans nous toucher. Il m'a payé puis est repartie sans un mot.

C'est ainsi que nous fonctionnons depuis le premier jour. Je ne vois que lui, sans arrêt. Je tente une percée, et il me repousse. Il n'est intéressé par rien du tout. Aleksandr Vesselovski me paye pour me voir presque chaque jour de la semaine. Et nous ne couchons jamais. Il ne m'a jamais touché, et j'en perds la tête un peu plus chaque jour de ne pas comprendre le fonctionnement de cet homme vide de sens. Où est-ce que tout cela va me mener ? Plus je réfléchis, et plus je me rends compte que depuis le moment où j'ai pressé la gâchette, la tournure que prend ma vie est devenue incompréhensible. J'ai perdu le contrôle.