« Mikah, pour la centième fois il n'y a pas de monstres dans ton placard », répéta une jeune femme à la chevelure d'un blond renversant, un sourire bienveillant sur le visage. Comme un geste automatique, celle-ci ouvrit en grand le meuble se trouvant juste en face du lit dans lequel le petit garçon était assis. Du haut de ses 6 ans, Mikhaïl avait déjà une imagination débordante et bien que sa mère tentait du mieux qu'elle pouvait de le rassurer, il ne pouvait s'empêcher de laisser vagabonder ses pensées à des peurs qui, il le constaterait plus tard, étaient des plus réelles. « Tu vois ? Il n'y a rien, absolument rien », lui dit-elle alors pour le convaincre une fois de plus. Puis elle vînt s'assoir à ses côtés, collant son corps chaud contre le sien. L'enfant pouvait alors s'imprégner de sa douce odeur  enivrant ses narines d'un parfum paradisiaque. Il aimait sa mère et pour rien au monde il ne l'aurait échangé. Elle l'avait élevé alors que son père, présent pourtant, n'était jamais vraiment là, vagabondant de son misérable travail à des occupations toutes aussi dégradantes. Dès son plus jeune âge, Mikhaïl s'était demandé comment diable celle qui l'avait mis au monde avait pu se mettre en couple avec un homme pareil. Quelque peu rassuré finalement, il lui rendit un grand sourire enfantin parsemé de ci de là à cause d'une visite récente de la petite sourie. « Maman tu peux me lire une histoire s'il te plait ? ». Il se serra un peu plus contre elle et la dévisagea de ses yeux implorants. Il avait le don de la faire craquer. « Alalah ! tu auras ma peau un jour.. bon choisi le livre que tu veux mon cœur ».

« Tu vas bientôt voir ta petite soeur, mon ange ». Ce sont les dernières paroles que Mikhaïl entendit de sa mère. Une simple phrase, un petit sourire en coin légèrement déformé par la douleur et là voilà qui disparaissait derrière les grandes portes d'hôpital menant au bloc opératoire. Il ne la revit plus jamais après ça ; du moins plus comme il l'aurait espéré. Son teint jadis rosé avait disparu, ses lèvres brillantes étaient ternes et ses yeux d'un bleu azur renversant étaient désormais définitivement clos. Elle était partie. Des complications s'étaient développées suite à ses premières contractions et avaient empiré sur le chemin la conduisant à la maternité. Elle dut subir une chirurgie d'urgence pour extraire l'enfant mais une hémorragie incontrôlable se répandit dans une large partie de son corps avant que son cœur ne finisse par lâcher. Les yeux gonflés par les larmes qui n'avaient de cesse de s'écouler le long de son visage, le garçon ne parvenait pas à détacher son regard de la nursery et d'un berceau en particulier, celui où se trouvait le dernier héritage de sa mère : Naya, sa petite soeur. « Viens Mikah, allons la voir de plus près ». La voix féminine quelque peu tremblante qui venait de s'exprimer n'était autre que Mme Joworski, une vieille dame, voisine et avec qui sa mère était proche. Serrant la main de son interlocutrice, le petit russe ne put que secouer la tête de bas en haut pour acquiescer à sa requête et se laissa entraîner à l'intérieur de la pièce. Heureusement que cette dernière était là pour s'occuper de lui car son père était injoignable, comme à son habitude. Il ignorait pour l'instant ce qui venait d'arriver alors que son unique fils devait affronter seul des émotions qu'il ne pensait pas devoir subir avant bien des années. Mikhaïl n'avait que tout juste 5 ans et déjà il allait devoir jouer le rôle de parent pour ce nouveau petit être intimement lié à lui.

Certains évènements marquent une vie de la meilleure des façons possibles et d'autres au contraire, font basculer les individus dans un chaos total. Il était 18h passé lorsque Mikhaïl rentra du travail, fatigué par une nouvelle journée de dure labeur. Accumulé les petits boulots de la sorte était certes, loin d'être évident, mais il savait pourquoi il le faisait. Il voulait que lui et sa soeur aient une chance plus tard. Il économisait le plus possible depuis quelques années et espérait bientôt pouvoir déménager et emmener Naya avec lui. S'échapper de ce trou à rat serait probablement la meilleure chose qui pouvait leur arriver. Hélas une fois de plus la vie en avait décidé autrement. Alors que Naya était parti peaufiner un exposé chez l'une de ses camarades de classe, le jeune homme pensait avoir la maison pour lui tout seul. Il franchit ainsi le seuil de la porte tout en se massant le cou, fatigué par ses heures passées à faire la plonge et sachant pertinemment que d'ici deux heures il devrait repartir. Posant son sac dans le couloir de l'entrée, il s'arrêta net en tombant nez à nez avec son père dans le salon. Bien qu'il ne s'attendait pas du tout à le voir à cette heure là – il faut dire que leur père rentrait souvent en plein milieu de la nuit complètement alcoolisé – rien n'aurait dû le faire rester dans la même pièce poussiéreuse que lui. Pourtant cette fois-ci quelque chose semblait clocher. Son géniteur paraissait apeuré et de nombreuses ecchymoses  parsemées son visage déjà tuméfié. « Qu'est-ce qu'il se passe ? », demanda  Mikhaïl, plus inquiet pour d'éventuelles conséquences pour sa famille que pour son propre père. Ce dernier lui jeta alors un regard gêné avant de détourner les yeux de son fils. Le garçon était sur le point de s'avancer, franchissant l'entrebâillement de la pièce principale lorsqu'il sentit une entrave autour de son torse emprisonnée ses bras ainsi qu'une autre main portée directement à son visage. Il voulut crier mais très vite le son fut étouffé par un bout de tissu imbibé d'une odeur dangereuse et séductrice : du chloroforme. Mikhaïl lutta tant bien que mal, se débattant bec et ongle pour se libérer ; malheureusement la force de son agresseur et l'enivrant produit contre sa bouche et son nez finirent par faire abandonner toute combativité chez le jeune homme. Ses yeux se fermèrent sur une dernière vision, celle de son paternel fuyant tout contact visuel avec lui, la honte irradiant ses traits faciaux. La nuit l'avait englouti, il était parti.

Mikhaïl apprit alors qu'il avait été vendu par son propre sang puisque ce dernier, incapable d'assumer les conséquences de son addiction au jeu et à l'alcool, avait accumulé d'immenses dettes dont il lui était impossible d'y faire face aujourd'hui. Cette somme il la devait à la Rose Rouge, la sulfureuse maison close dont la ville ne faisait que parler. Le propriétaire de cet édifice avait envoyé l'un de ses hommes de mains, le redoutable Iolkov-Nossov, pour récupérer son argent ou "se débarrasser" de ce mauvais payeur. Le chasseur de tête était sur le point de le tuer lorsque Yuri Azarov proposa de lui faire don de son fils en échange de sa vie. C'est ainsi que Mikhaïl se retrouva condamné à n'être plus qu'une sorte de prisonnier dans ce bordel, un objet dont chaque client avec assez d'argent pourrait jouir comme bon leur semble. Cela fait seulement quelques jours qu'il est ici et pourtant il sait que ce n'est qu'une question de temps avant de devenir pour la première fois la pute de quelqu'un.