Bonnet enfoncé sur le crâne et veste sur le dos, on devine le froid ambiant par la fumée qui sort de ma bouche à chaque expiration. Je souffle un coup et me décide enfin à retourner au chaud. A peine je fais mon entrée à la Rose Rouge que je suis obligé de retirer tout vêtement chaud. Tenue correcte obligatoire.  La musique est assourdissante mais nécessaire pour recouvrir les bruits bien plus malsains qui entourent la maison. Je monte à l'étage pour prendre ma place. Je jette des coups d’œil un peu partout, je m'assure que les filles que je gère sont bien là où elles sont censées être. Les mains dans les poches, je m'appuie contre un mur et attend qu'elles terminent leur job. Je recompte les billets, je remercie les clients avant de m'installer à un bureau et faire les comptes. Une routine qui m'ennuyait au plus haut point. On a tous un rêve et celui de devenir proxénète est bien loin du mien. La peinture a toujours fais partie de ma vie. Ma mère m'a élevé avec son âme d'artiste et en m'encourageant à développer mes idées, à créer. Je peignais toujours ma petite sœur, elle a été mon premier modèle et ma première source d'inspiration. Elle avait le visage pâle et les cheveux bruns, les nuances étaient parfaites, ses traits fins et presque masculins. Mais nous ne sommes pas maître de nos destins et la vie fit ce qu'elle fait de mieux : s'arrêter.

Dès que sa mort fut annoncée, j'arrêtais la peintre, je fis des études de management et obtins mon diplôme à 20 ans. Âge auquel je me décidai à quitter le cocon familial, je quittais la capitale pour Saint-Pétersbourg, y voyant un grand changement. Je cherchais du boulot absolument partout mais pas n'importe où. Jusqu'au jour où la faim prend le dessus et qu'une offre d'emploi se distingue des autres. Le management d'un réseau de prostitution. Je mis longtemps avant de sortir le mot "proxénète", bien loin de mon éducation. Les mois passèrent et je me pris au jeu, comme si j'étais piégé. J'étais pris dans un cercle vicieux entre argent et sexe. Les premières années à la Rose Rouge furent les plus belles de ma vie. Je réalisai tous mes fantasmes et m'achetais ce dont j'avais envie. J'enchaînais mes conquêtes comme mes tee-shirts. Au point de m'y perdre. Jusqu'au jour où quelque chose, ou plutôt quelqu'un, arrive pour changer la donne. Elle fut l'une des dernières que j'embauchais pour la Rose Rouge, elle changea très vite ma manière de voir les choses. Je la voulais plus que les autres et je l’eus. Je me remis à peindre en cachette, comme s'il s'agissait de mon plus grand vice. Un secret bien caché, une faiblesse que je refuse encore de montrer.

Je rentre chez nous après avoir fini mon service. Elle n'est pas là. Je devine qu'un autre homme est en train d'abuser d'elle. Je me sers un verre comme si cela pouvait régler tous les problèmes. Je le vide et les autres s'enchaînent facilement, naturellement. Appuyé contre la fenêtre, je la regarde rentrer. L'espace d'un instant, j'oublie d'où elle vient, ce que nous faisons tous les deux pour vivre et j'oublie que nous sommes pas vraiment un couple. Je souris comme je souris uniquement après avoir bu ou lorsque je suis seul avec elle dans un lit. « Tu t'es encore faite sauter ? ». Je deviens vulgaire, la réalité me revient en pleine face. Je m'empare de sa main que si je la possède, je l'envoi contre le mur. Mon visage se rapproche du sien pour finalement s'appuyer contre le mur, j'y donne en coup de poing comme si cela allait régler tous mes problèmes.

Je voudrais pouvoir m'autoriser à l'aimer. J'aimerais moi aussi avoir droit à la vie dont tout le monde rêve. Lui avouer qu'il n'y a que grâce à elle que la peinture s'étale sur les toiles avec mes mains. Je voudrais lui interdire d'aller voir d'autres hommes et qu'elle m'interdise d'aller chercher du réconfort chez d'autres femmes. Mais la vie est ainsi faite et ce n'est pas le genre d'avenir qu'elle nous réserve.