Un soir de Mars 1992, alors que le froid était plus saisissant encore que d'ordinaire, je poussais mes premiers cris dans une petite maternité de Samara. Enfant attendue depuis plusieurs années, mes parents me chérirent sincèrement dès mes premiers instants. Issue d'un milieu modeste, papa a toujours été enseignant au lycée, et maman faisait des ménages pour mettre un peu de beurre dans les épinards. Je n'avais aucune idée d'à quel point les choses pouvaient être difficile durant mon jeune âge, car ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour que j'aie tous les jouets qui me faisaient envie. Rapidement, un autre miracle vint agrandir la famille. Ma mère était tombée enceinte de cet être qui deviendrait mon petit frère, Joshua. A son arrivée, les chose se compliquèrent. Déjà tendue alors que nous n'étions que trois, la situation financière de notre famille ne s'améliora pas. Cependant, je ne le remarquais pas vraiment sinon que mes caprices n'étaient plus au centre du monde. Mais j'avais Josh, ce petit être qui m'intriguait et que j'aimais sans même savoir pourquoi. Parce qu'il était mon sang, parce qu'il était plus petit, et parce que déjà, je savais qu'il était de mon devoir de le protéger et de faire qu'il soit toujours bien.

Quelques années plus tard, notre père perdit son travail l'endroit où il travaillait fermant ses portes. Nous gagnions donc Saint-Petersbourg afin de commencer une nouvelle vie. Les choses changèrent, Papa ne trouvant qu'un travail à mi-temps, c'est ma mère qui dû se plonger plus encore dans les ménages afin que nous puissions survivre dans cette grande ville où la vie est plus chère encore qu'à Samara. Avec le temps, mon père changea. Il devint distant, ne souriait plus, ne passait guère de temps en notre compagnie. Josh et moi ne disions rien, mais je voyais bien que mon frère ressentais la même chose que moi. Comme si notre père était lassé de nous, lassé d'être dans la misère et de ne pas pouvoir s'en sortir mieux. Ma mère quant à elle, semblait de plus en plus fatiguée. Jusqu'au jour où elle fit un malaise à la maison, alors qu'elle aidait Josh à terminer ses leçons. Une fois les pompiers arrivés, elle fut conduite à l'hôpital et on lui annonça qu'elle était enceinte, mais aussi qu'elle avait un déficit en vitamines qui la fatiguaient. Lorsque mon père appris la nouvelle, il ne sourit pas comme il l'avait fait pour Joshua. Cela ne semblait plus être un miracle d'avoir des enfants dans la famille Liamine. Même si Josh et moi étions heureux d'accueillir ce petit être, ce qui semblait réconforter ma mère, même si elle était toujours inquiète et que je la surprenais souvent en train de pleurer. En dépit de ce contexte familial, j'aimais assez l'école. Pas tant les matières scientifiques, mais plutôt la littérature, les travaux manuels. Rapidement, la couture, le style, la mode, tout cela devint mon monde. Et alors que ma petite sœur Adrianna voyait le jour, je commençais à créer de petites robes pour mes poupées. Bien sûr, Josh trouvait ça drôle de défaire les points de coutures peu habiles que je faisais et cela nous menait bien souvent à des querelles, mais sans le savoir je faisais croitre une passion véritable.

Le temps passant, je m'éloignais de mes parents en lesquels je ne me retrouvais pas. Bien qu'aimante, ma mère n'était qu'un fantôme. Elle ne pouvait pas passer assez de temps avec nous pour qu'on la connaisse vraiment. Alors en grandissant je me suis éloignée d'elle. Mon père, toujours absent, toujours sortit après le travail, n'a plus été présent depuis notre arrivée en ville. C'est donc sans regret que je m'envolais pour Londres afin de poursuivre dans cette voie que j'aimais plus que tout. J'avais convaincu un jury difficile, et obtenu une bourse pour pouvoir étudier à l'autre bout de l'Europe. C'était donc fière que j'étais montée dans l'avion, même si j'avais le cœur gros de laisser mon frère et ma sœur derrière aux prises avec nos parents qui n'ont pas été vraiment là. Même si cela n'a pas rendu notre enfance malheureuse, bien au contraire. On sentait toujours l'amour et la fierté émanant de notre mère lorsqu'elle nous regardait. Mais cela n'était plus suffisant pour moi. Je voulais être libre, je voulais grandir, je rêvais de grandeur, et d'un autre mode de vie.

Je trouvais tout cela à Londres. Étudiante brillante, je ne comptais pas mes heures de travail personnel après les cours. Je voulais exceller, je voulais être remarquée pour pouvoir travailler dans des endroits d'exception. Je parvins même à participer à la fashion week, en tant qu'assistante, certes, mais ce fut une grande satisfaction pour moi que de pouvoir observer ces grands créateurs et ces stylistes confirmés qui sentent la mode et les accords parfaits. Au fil de ma vie Londonienne, je me fis des amis, et rencontrait Léo. Un magnifique Australien au teint hâlé qui me fit rêver immédiatement. Notre histoire commença sur les chapeaux de roues et rapidement nous nous retrouvions à vivre ensemble. Il aimait mon travail, lui qui de son côté était héritier et passait son temps à tenter diverses écoles pour "se découvrir". J'étais heureuse, totalement heureuse. Mon bonheur atteint son paroxysme le jour où Léo demanda ma main dans un restaurant hors de prix. J'acceptais immédiatement, amoureuse de lui, de notre mode de vie, de ma liberté londonienne, de mes études. Je voulais que notre vie se passe ainsi. Tout était trop beau hélas...

Un soir, je reçu un coup de fil d'une tante éloignée qui ne m'avait pas parlé depuis que j'avais l'âge de neuf ans. J'eus du mal à reconnaitre sa voix, et la fit se présenter plus formellement que j'aurais pu le faire avec quelqu'un que je connaissais. Elle m'annonça que mes parents avaient eu un accident, et qu'ils étaient enterrés en fin de semaine. M'apprêtant à répondre que je ne pouvais pas venir ayant mon premier vrai travail en fin de semaine, elle me coupa en me disant que la garde de mon frère et de ma soeur me revenaient de droit, mais que si je ne souhaitais pas rentrer elle serait donnée à un autre parent. Sauf que nous n'étions pas proche de notre famille. Faire en sorte que mon frère et ma soeur aillent vivre chez une tante ou un oncle serait la même chose que de les laisser à un étranger ou une famille d'accueil. Joshua et Adrianna ne méritaient pas ça. Mon monde s'effondrait. Même si la mort de mes parents m'avait touchée, et sincèrement attristée, le fait de devoir rentrer au pays fut ce qui me blessa le plus. Je devais abandonner ma parfaite petite vie pour reprendre celle qui avait jadis été la mienne.

Bien sûr, histoire que tout s'effondre Léo avait refusé de me suivre lorsque je lui avais demandé. Il s'était dit pas du tout prêt à assumer deux enfants. Il aurait voulu que je lui parle de tout ça avant de prendre ma décision. Je l'avais giflé. Il s'agissait de mon frère et de ma soeur, et bien que de reprendre ma vie Russe ne me faisait pas plaisir je ne pouvais me résoudre ne serait-ce qu'à envisager l'abandon de ces deux-là. Comme notre différent était total, Léo décida de rompre avec moi. Rancunière, je vendis l'énorme diamant qu'il m'avait offert et ouvrit un compte lucratif afin que mes frères et soeurs puissent étudier plus tard. J'étais à présent leur tutrice, alors je devais penser comme telle. Rapidement, j'étais de retour à mes vieilles habitudes. Cherchant un emploi, j'en trouvais un rapidement à la Rose Rouge. D'abord dégoutée, je savais bien que je n'avais pas le choix. Les factures étaient impayées, et les frais de scolarité n'attendraient pas. Je prenais donc le job en dépit de ma morale, et commençait donc une nouvelle vie loin de tout ce dont j'avais pu rêver un jour.

Au milieu de tout ça, je rencontrais Ezra, un homme de compagnie, qui n'était pas si tyrannique qu'il tentait de le faire paraitre. Sans m'en rendre compte, je tombais amoureuse de lui tout en me blâmant de m'autoriser de tels sentiments à son égard. Il était... Différent, et cela me touchait plus que je ne l'aurais préféré. Cette différence me toucha tellement qu'un jour, nous avons fini par succomber l'un à l'autre. Je m'étais rassurée en me disant que c'était un accident, qu'on était pas obligés d'en reparler que ça devait lui arriver avec plein de femmes... Mais je dus me rendre à l'évidence, je devrais en reparler, car j'étais enceinte. Et n'ayant fréquenté personne d'autre que le bel éphèbe blond, l'enfant était de lui. Me voilà donc, enceinte, tutrice de mon frère adolescent qui fait toutes les bêtises possibles et de ma petite sœur qui semble perdue depuis que nos parents ne sont plus là, prise au piège dans un travail que je ne suis pas sûre d'aimer, et pire que tout : j'aime autant que je hais celui qui est le père du bébé.

Celui qui me dit que le pire est à venir risque de sincèrement m'agacer...