Dehors, il fait beau. La ciel est d'un bleu azur, et ça et là sont dispersés de cotonneux nuages, le genre de nuages que l'on observe, allongé dans un parc, ceux à qui l'on donne des formes au gré de notre imagination. Parfois, les moteurs rugissants d'un avion déchirent l'horizon et y laissent la trace de leur passage. Mon regard s'accroche à eux, curieux, envieux; curieux de savoir où il se dirige, et envieux de m'envoler avec lui. Le nez collé à la fenêtre du quinzième étage, je rêvasse. Partir, découvrir, voilà de quoi je rêve, mais on s'obstine à m'enfermer ici. Ma mère, ma nourrice, mais surtout, mon père. J'ai dix ans et je rêve d'aventure, mais mon avenir est déjà tout tracé.

Depuis la naissance, tout me prédestinait déjà à être ce que je suis devenu aujourd'hui. Mon père trader à Wall Street et ma mère sénatrice, il était impensable que je devienne un saltimbanque, ou que sais-je encore... prof'? Tandis que certains étaient nourris au bledina, j'avalais déjà mes premières bouchées de caviar. "La vie est injuste,  mais y'a que les faibles pour s'en plaindre"; telle fut la première leçon enseignée par le paternel devant les yeux ébahis de bambin Wren. J'ai grandi dans le luxe, éduqué par une institutrice à domicile, qui me faisait cours six jours sur sept. A onze ans, j'avais des rudiments de français, d'allemand, d'espagnol et de japonais, mais je ne rêvais que d'une chose. M'envoler, et partir! Tout ce que je connaissais à ce jour, c'était Manhattan, Brooklyn et la Statue de la Liberté. Père m'avait promis de m'emmener à Paris lorsque je parlerais un français correct, à Madrid lorsque mon espagnol serait irréprochable, à Berlin lorsque je saurais aborder une jeune allemande sans chercher mes mots, et à Tokyo lorsque leurs traditions me seraient aussi familières que mes propres mains. Bien évidemment, tout ça, c'était de la poudre aux yeux, et j'ai jamais pris le moindre avion avec ce salaud. Toutefois, autant vous dire qu'au niveau linguistique, ça n'a jamais été un souci.

Conscients de ne pouvoir parfaire son éducation à partir de certain âge, le temps vint ou l'oiseau fut libéré de sa cage pour être propulsé dans la nature, ou plutôt, la jungle : College. C'est en brebis que j'effectue mes premiers pas dans le monde extérieur, pour peu bien vite me transformer en véritable loup, laissant parler le sang de mes géniteurs. C'est à cette époque de ma vie que j'ai appris à détester les hommes, ou plutôt, détester les cons. C'est aussi vers cette époque, mes 17 ans, que je suis tombé fou amoureux de la secrétaire de mon père (qui m'avait fait visiter ses bureaux à Wall Street, ô miracle), Petra, milf russe et dans mes rêves bien plus encore, et qu'en conséquence, j'ai utilisé mes premiers rouleaux de papiers toilettes hors WC, si vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr, ce n'était que le fantasme d'un adolescent, mais allez faire comprendre à un homme de 17 ans que ce qu'il ressent n'est pas vraiment de l'amour. Peut-être que de là vient ma passion farouche pour la Russie, allez-savoir. Toujours est-il que les études supérieures étaient simples comparées à la pression que je recevais à domicile plus jeune, aussi eut-je le temps de batifoler, et ainsi d'avoir mes premières expériences charnelles, sans jamais pour autant avoir de véritable relation (d'ailleurs, je m'en crois aujourd'hui incapable).

La vie suit son cours, et je décrochais un métier ; celui qui conviendrait et à mes parents, et à ma propre personne. En conséquence : hommes d'affaires, ou ingénieur commercial, comme vous voudrez. A la clé, un salaire de quoi alimentez les ragots en dîners mondains pour le paternel, et des voyages pour satisfaire mon envie de découverte. J'intégrais le géant General Motors, prêt à voyager pour eux, à parcourir le monde pour vendre des Chevrolet. C'est ainsi que je découvrais toutes les villes dont j'avais rêvé dans mon enfance, et plus particulièrement Saint-Pétersbourg, sans pour autant savoir parler russe (même si j'essaie). Lors de ma première visite en Russie, j'avais fait de cette ville l'objet de mon art : la photographie, et c'est ainsi que j'y ai rencontré la femme mystère, celle qui fut prise en photo comme si cela avait été volontaire, celle dont j'ignore encore le nom, celle qui est la raison des prétextes que je trouve pour revenir commercer à Saint-Pétersbourg le plus souvent possible...