Le regard absorbé par la route qui défilait devant moi, je roulais. J'avais cette vieille Harley achetée d'occasion chez un brocanteur et je m'étais promis de la remettre en état, voire même de l'optimiser. Une sorte de passe-temps. Pour l'instant elle n'était qu'à l'embryon des travaux mais elle était assez bien pour rouler. Et c'était toujours mieux que le bus. Je devais également avouer que le style motard me plaisait bien. Je n'étais pas vraiment un petit ange dans mon genre alors c'était un look qui me collait à la peau. Veste en cuir, jean et rangers. Simple et classe. J'avais donc prit la route, passant dans le centre ville sans vraiment me rendre compte de ce qui m’entourait. Il faisait plutôt gris et le vent soufflait fort, ce qui me déstabilisait un peu. Je venais d'achever une longue journée de travail. Le lycée, les cours, tout ça. J'avoue que je commençais à en avoir ma claque. Rien qu'à voir de TP sur les différents stades de la méiose. L'inutilité. Genre que je sache ça va changer la face du monde. C'est comme ça que ça s'passe, voilà tout, pas besoin d'en faire un fromage. C'est pas comme si je voulais devenir médecin ou quoi. En plus il avait fallut que je me coltine Jessica, la fille pot-de-colle du bahut. Elle ça lui avait bien plu ce TP je crois mais honnêtement, je m'en serais bien passé. Du coup en sortant des cours j'étais allé me faire un nouveau tatouage. Sur les côtes, là où ça fait bien mal. Mais il est canon, alors je regrette rien.
En sortant de mon salon de tatouage près du centre commercial j'avais croisé la route de Zef. Un mec sympa dont je me méfiais un peu mais qui était un bon client aussi. Il m'avait invité à prendre un verre alors nous étions allé dans un bar discuter autour d'une bière. De tout et de rien, de choses plus ou moins intéressantes. Nous n'étions pas vraiment de gros bavards de toute façon. Je lui avais parlé de Naël, mon meilleur ami. Du fait qu'on s'emmerdait un peu et qu'on cherchait un nouveau terrain de jeu. Du fait que j'en avais mare de ma famille ô combien possessive. De mes parents qui veulent gouverner ma vie. Comme s'ils allaient y arriver un jour. Bref, que j'en avais mare de pas mal de choses et que j'savais pas quoi faire pour qu'on s'éclate avec Naël.
Lâche prise, mec. L'amusement t'en trouveras partout autour de toi. J'avais laissé échapper un petit rictus du mec pas convaincu.
Vous avez qu'à vous chopper une meuf à deux, enfin j'sais pas, vous amuser un peu avec elle. Je buvais une gorgée de bière d'un air las.
Merci pour tes précieux conseils mec, franchement je sais pas ce que je ferais sans toi. Ironie quand tu nous tiens. Il était hors de question qu'on joue avec la même fille. De toute façon, elles ne comptent pas pour moi.Les sentiments, c'est de la merde. J'y crois pas. Alors c'est presque mon quotidien de jouer avec ceux des filles. Je terminai alors ma bière et réglais l'addition avant de sortir dans la rue. L'air frais m'avait brûlé le visage et pour me réchauffer j'avais sorti d'un geste devenu presque machinal une clope. Malboro, les meilleures à mon goût. J'actionnais le briquet lorsque Zef m'avait de nouveau rejoint.
Tu devrais passer au niveau supérieur. Pour te détendre un peu, penser à autre chose, t'éclater, te faire des trips. Je tirais une taffe sans le regarder.
C'est à dire ? Il posa sa main sur mon épaule, dans le genre du mec qui veut m'apprendre la vie.
La drogue, mec. J'eus un nouveau rictus sarcastique.
Ris tout c'que tu veux mais si un jour tu changes d'avis... J'en ai pour pas cher, me glissa-t-il avec un sourire.
T'en prends pour combien ? Il affichait un sourire satisfait. C'était donc ainsi que pour la première fois de ma vie je me prenais de la drogue. Je glissais le petit sachet dans la poche avant de ma veste, celle au niveau des pectoraux. J'avais ensuite prit ma moto et j'étais parti, sur cette route où je me trouvais en cet instant, les roues de mon véhicule chauffant le bitume à cause de la vitesse à laquelle j'avançais.
C'était dans des bruits de moteurs à fort taux de décibels que je me rendais chez Naël. J'avais besoin de lui parler, de passer du temps avec lui. Les gens comme Zef avaient don de m'empoisonner l'esprit. Mais au moins ils avaient de bonnes idées. Enfin non, je ne comptais pas vraiment me ramollir le cerveau à coup d'herbes illicites mais je comptais réserver ce sort aux autres. Oui, voilà. Naël et moi, on allait devenir dealeurs. Ça c'est cool. Arrivé en bas de son immeuble je garais ma moto, enlevais mon casque et le prenais sous mon bras. Je me dirigeais vers l'entrée et je composais le code que je connaissais par cœur désormais. Je traversais le hall en n'oubliant pas de jeter un coup d'oeil dans sa boîte aux lettres. Pas de courrier, il avait déjà dû passer. Je prenais enfin l’ascenseur et une fois arrivé à l'étage, sonnais une fois à son appartement. J'avais vraiment hâte de le voir.
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J'avalais une nouvelle frite tout en regardant Naël d'un oeil mauvais. Pour qui se prenait-il enfin ? Il croyait que parce qu'il avait rencontré deux-trois personnes il allait devenir le maître du monde ? Il oubliait clairement l'ordre de ses priorités. Depuis que l'on s'était plongé dans ce petit business, il n'y en avait plus que pour la drogue, et le fric bien entendu. C'était à ne plus reconnaître mon meilleur ami. Et le voilà qui m'annonçait qu'il voulait partir pour la Russie. Je ricanai. Il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait là-bas.
T'es inconscient Naël. Il me toisa.
Et toi t'es jaloux. Jaloux du fait que j'y arrive mieux qu'toi, que j'ai plus de succès et que jamais t'arriveras à mon niveau. T'as pas d'ambition. Je manquai de m'étouffer mais cela se transforma bien rapidement en rire mauvais.
Mais qui es-tu ? Je ne te reconnais plus. Naël ne répondis pas et se contenta de me regarder avec incompréhension, me rendant certainement le regard que je lui lançais. Il se tenait là, droit et fier, sa valise à la main. Il allait partir pour de bon, j'en étais certain. Sauf que personne ne serait là pour le retenir. En tout cas certainement pas moi.
Tu sais quoi ? Barres-toi. Barres-toi qu'on rigole un peu. Mais n'oublie pas une carte postale hein ? Il secoua la tête d'un air déçu et énervé.
T'es vraiment con. Tu pourrais pas me supporter pour une fois ? J't'ai supporté trop longtemps au contraire. J'arrivais pas à croire qu'on en était arrivés là. Nous qui étions si proches. A croire que le fric à raison de tout. Même des plus belles amitiés.
Voilà un an et trois mois que Naël avait quitté Londres. Dieu sait ce qu'il était devenu, tout seul, dans la grande Russie. De mon côté j'avais tenté de faire prospérer mon petit commerce de rues, dealant au plus offrant et gagnant assez pour m'offrir une toute nouvelle bécane. J'pouvais vraiment pas me plaindre. Sauf que voilà, la roue tourne, comme toujours. Ce jour-là je rentrais chez moi après une journée tout ce qu'il y a de plus banale. C'est alors que je vis une groupe de mecs, baraqués, tatoués, piercings au nez.
Qu'est-ce qu'ils foutent là ? Cette bande, je la connaissais plutôt bien. Des gros bras sans cervelle, des caïds qui veulent jouer dans la cours des grands. Il étaient jaloux du succès que je commençais à avoir et tentaient souvent de me piquer mon pognon ou mes clients. Mais les voir devant le pavillon de chez moi me plaisait pas trop.
Regardez qui voilà ? Je pensais qu'ils s'adressaient à moi mais de toute évidence aucun d'eux ne semblait avoir remarqué ma présence. Mon regard suivit alors le leur et je la vis. Jackie. Ma petite soeur. Mon coeur se serra en un instant. Néanmoins, incapable du moindre mouvement, j'observais la scène, fasciné.
Tu vas bien ma jolie ? Ma soeur tenta de s'enfuir mais bien sûr il était trop tard. Elle était leur cible, impossible d'en réchapper.
Lâchez-moi ! L'un d'exu attrapa avec force son poignet tout en collant son corps au sien. C'en était trop pour moi. Je courus dans leur direction tout en gueulant :
T'es sourd ou quoi ? Elle t'a dit de la lâcher ! La bande se retourne vers moi. Ils me dévisagent de haut en bas, puis le meneur lâche finalement ma soeur, un rictus dans le coin des lèvres.
Tu tombes bien, toi. J'hausse les sourcils d'un air faussement surpris. J'ai peur. Pour la première fois depuis des années, j'ai peur. Peur qu'il arrive quelque chose à ma soeur. Elle qui compte tellement pour moi.
Et pourquoi ça ? J'essayais de paraître confiant, de ne pas leur montrer qu'ils avaient enfin du pouvoir sur moi. Mais ça ils le sentaient bien sûr. Parce que comme ça on va pouvoir être clairs.
Tu quittes la ville, ou ta soeur y passe. Il bluffait. Ça ne pouvait être que ça. Je ricanai.
Hors de question. Le mec me lança un regard perçant puis, d'un geste froid et restant totalement impassible, il sortit un flingue de sa veste en cuir et tira un coup sur ma soeur. Cette dernière s'écroula sans un mot, sous mon regard horrifié. Putain. Aucun mot ne me venait. J'sais pas combien de temps passa ainsi mais mes yeux ne se décollaient pas de la mare de sang grandissante autour de ma cadette. Putain, c'est pas possible.
La prochaine, c'est ta mère. Le groupe partit enfin, me laissant là, seul, en face du corps inerte de ma jeune soeur. Morte.
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St Pétersbourg. Grandiose. Cette ville était gigantesque et ses palais, mon dieu ses palais. J'étais émerveillé. Voilà une semaine que j'étais arrivé en ville, à la recherche de Naël. J'avais entendu dire qu'il se portait plutôt bien ici et qu'il avait un assez gros business. J'avais du mal à le croire. Qu'il soit encore vivant, et qu'il ait du succès qui plus est. Je n'étais pas pour autant pressé de lui reparler. Depuis les derniers événements cependant j'avais besoin de lui, de son aide. J'avais quitté Londres pour protéger ma mère mais je détestais la savoir seule. Surtout depuis la mort de Jackie. Alors il me fallait le soutien d'un ami. Et qui d'autre que Naël ? Je ne savais pas encore comment le contacter mais après une semaine de repérages j'avais remarqué la Rose Rouge, une maison close. Sans trop réfléchir j'en avais déduit que de la drogue devait circuler sous le manteau également. Je sais pas, une intuition. Je détestais cet endroit. Parce que cela me rappelais Jackie. Je voyais en chacune des filles qui rentrait et sortait de là ma cadette. Elle aussi s'était prostituée, un temps. Mais j'avais tout fait pour que cela s'arrête. Bref. J'avais décidé de me rendre à la Rose Rouge. Je n'avais pas vraiment de plan d'attaque si bien qu'on me prit directement pour un "client". Je me tenais là, dans le hall d'entrée, près du guichet, lorsqu'un adonis vint me rejoindre. Il était d'une beauté parfaite et ses yeux bleu azur me transperçaient entièrement. Il avait une chevelure brune et dorée et le teint légèrement mat pour un Russe. Les traits fins et un corps élancé.
Vous cherchez quelque chose ? Je ne sais pas pourquoi mais sa manière de me poser la question m'alluma totalement.
Peut être bien... Ses fines lèvres s'étirèrent en un rictus tandis qu'il fit un pas supplémentaire vers moi.
Suivez-moi, je crois que j'ai ce qu'il vous faut. Vraiment ? Malgré mon scepticisme et mon amusement au vu de la situation, je me laissais guider par cet homme dont je ne connaissais même pas le nom. Il m'entraîna dans un dédale de couloirs sombres, me fit monter à l'étage. Certains bruits étranges me venaient des pièces voisines mais je préférais ne rien imaginer. Il ouvrit enfin une pièce et me laissa passer en premier. C'était une chambre, tout simplement. Une décoration baroque, dans les tons de rouge. J'avais l'impression de visiter les enfers. Mais je n'eus pas d'avantage le loisir de réfléchir car je sentis l'inconnu se coller contre moi, sa bouche se glissant avidement dans le creux de mon cou. J'aurais dû partir, réagir, faire quelque chose quoi. Mais rien. J'étais tout bonnement incapable du moindre geste tant cet homme m'enivrait. Bientôt nos deux corps finirent sur le lit kingsize et je pu enfin lire comment il s'appelait. Là, c'était tatoué sur ses doigts. Ivan.