C'est sa peau pâle qui t'inspire tes premiers vers, ses yeux bleus sont ta première inspiration. Elle est tout sur cette scène, tout pour toi. Une simple évocation de son prénom, un bruissement de sa robe, son rire te ramène à la réalité. Enfant, tu voyais un ange derrière ses boucles noires, un ange rebelle et éclatant de pureté. A travers l'écran, sa grâce emplit ton coeur, tes yeux brillants d'une admiration que tu ne peux pas contenir. Seulement, tes lèvres n'osent s'ouvrir, tes yeux évitent son visage et tes mains se cachent dans les poches de ses chemises trop grandes. Son image est la seule qui te sourit, l'unique version de ta mère qui semble te vouloir à ses côtés. Elle perd son charme en dehors de l'écran, ses yeux prenant la couleur de la tempête, le venin glissant hors de sa bouche. Ses mains qui claquent et jamais ne t’enlacent. Ses cris étranges qui sortent de sa chambre chaque jour, chaque nuit à l'abri des regards. Et ses hommes. Toujours plus différent les uns que les autres. Bruns, blonds, roux aux yeux d'une couleur que tes yeux d'enfants ne perçoivent pas. Enfant unique, grandissant dans une grande maison. Seul, toujours. Le silence qui t'entoures, tu t'en es approprié, en a fait ton unique façon de s'exprimer puisque les mots que tu oses prononcer en sa présence lui brûle les oreilles. Elle était une star, une véritable dame. Tout le monde la voyait briller sur le petit et grand écran quand tu te cachais derrière les rideaux à la regarder, ton carnet entre les mains. Elle était tout pour toi mais tu n'étais pas assez ou peut être trop. Trop représentatif d'une fantaisie et d'un rêve évanoui. Ton visage représentant tout ce qu'elle a perdu, représentatif de l'unique homme qui lui aurait apporté le peu de reconnaissance qu'elle mérite. Toi, tu observes toujours, les vêtements propres, la mine grave et inexpressive. L'éternel enfant aux yeux rêveurs qui se voyait plonger dans la douceur d'une étreinte rêvée, idéalisée. Un enfant déposé sur le bord de l'église, le regard éteint, un simple regard échangé avant de la voir disparaître à travers les vitres sombres de la cabriolet qui s'éloigne, laissant une trainée de fumée noire qui envahit ton coeur déjà meurtri par son manque d'affection. Elle n'était pas fait pour être mère, son ambition et son manque de générosité auront eu raison de sa volonté première à faire de lui un grand homme. A travers ses pas, tu as appris le sens de la vie ou ce que tu crois correspondre à la vie. Morne, sans goûts et où la luxure, le désir et l'envie sont les principales morales qui dictent les hommes, qui les rendent avides et avares. En jouer est devenu ton principal atout, le contrôler ta manière de vivre. On pourrait te prendre pour l'un de ses manipulateurs au coeur de pierre qui se joue de tout un chacun quand en réalité, rien ne te semble plus normal. Tout ça pour elle, toujours pour elle. Même si son image sur les grands écrans reviennent te hanter aujourd'hui, que sa beauté froide te renvoie des souvenirs que tu préfèrerais oublier, elle reste ton ombre, ton éternel regret et ta parfaite imperfection.

L'odeur du tabac embaume la pièce et toi, ça ne te dérange pas. Pourquoi serait-ce le cas quand toi-même tu te laisses aller aux plaisirs de fumer en leur compagnie, enivré par les sensations procurées. Les draps de soie, les rideaux pourpres et cette ambiance envoutante vous entoure, donnant à la scène un côté totalement irrésistible. Ton quotidien. Offrir et donner. Partager pour mieux ressentir. S'abandonner aux caresses inconnues et aux lèvres hésitantes. La Rose Rouge t'as rendu une sorte de liberté que tu ne pensais pas avoir perdu. Une permission, l'opportunité d'être ce que tu veux à ton bon vouloir. En entrant dans cet établissement, jeune adulte de 19 ans, tu avais les yeux écarquillés devant tant d'excentricité et de beauté. La vie, tu la voyais simplement. Un sac sur le dos, le chapeau sur la tête et le carnet entre tes mains pour capturer un bout d'histoire inconnu, apprendre à connaître ce que d'autres auraient envie de partager. Leur offrir par ce biais l'opportunité de voir leurs histoires reconstitués par tes mots, leur donnant la beauté que seul ton regard troublé pouvait leur apporter en les rendant mémorables. Vagabond des temps modernes à la barbe mal rasé, tes pas t'ont simplement menés devant ses portes pour ne plus jamais les quitter, ton sac trouvant sa place derrière les nombreux vêtements qui constituent ta garde robe. Un choix, une évidence, peu importe. C'est chez toi désormais. Un foyer bien étrange mais que tu as rapidement pu appeler ainsi, te rappelant souvent l'ambiance qui semblait flotter dans votre ancienne appartement, cet endroit que tu as appris à éviter avec les années, le quartier renvoyant des images de son visage envoutant à travers des souvenirs enfantins douloureux. A travers ton activité de plaisir charnel, tu t'es laissé aller à parler, à t'ouvrir aux autres et à trouver des "amis". Amis qui ont largement désertés ton adolescence, remplacé par ce vieux carnet qui ne semble jamais quitter tes mains, le stylo glissé dans ta ceinture. Tes gestes glissent sur la peau des femmes, tes lèvres sur celles des hommes. Ils t'aveuglent et te rendent ivre. Avec le temps, les années, ton goût pour la luxure s'est avérée insatiable, ton incapacité à l'étouffer rendant la chose des plus agréables. Au gré du vent, à la lumière chancelante de l'aube, tes mains qui se glissent habituellement dans la chevelure rousse de la personne endormie à tes côtés, une comptine russe glisse de tes lèvres.

L'innocence. La naïveté. Elle était ça. Un mélange de bonheur et de joie enfantine dans son regard pétillant. Elle était un peu une source de bonne humeur, son sourire communicatif te donnant l'impression de voir des étoiles. Une belle femme, un magnifique ange. Dotée d'un regard de braise. Mina. Même son prénom chante ses louanges. A travers sa silhouette fine où ton regard se perd à chaque instant, au creux de sa peau d’albâtre et de ses sourires indécents. Douce Mina, intrépide Mina, innocente Mina. Mina au cœur d'or, aux lèvres au combien tentatrices. Une perle, un don du ciel que peu ont la chance de posséder. Votre rencontre reste gravée dans ton esprit, marquée à jamais au creux de tes souvenirs. La pluie qui gisait sur son visage, son sourire polie et déjà adorable. Ses yeux qui pétillent de malice et ton corps qui se fond contre le mur, priant pour mettre fin à ton supplice. Mina, si belle qu'on pourrait lui en vouloir, inaccessible. La multitude de couleurs qui miroite à travers ses cheveux t'ont inspirés tes plus longs poèmes, ses yeux en ont inspirés tes textes. Une muse, une amie. Une seule, l'unique qui ne peut décemment connaître la vérité sur toi. A ses yeux, tu es celui que tu aurais du être, un écrivain vagabond. La seule pour qui tu pourrais décemment tourner le dos à tout ce que tu penses être juste, quitter la Rose Rouge pour elle, pour Mina. Pour la tenir entre tes bras, l'encercler et ne jamais la laisser partir. Son aversion et le tiraillement dans ses yeux à l'évocation de la maison de plaisir t'attriste, te déchire. La perdre n'est pas envisageable. Lui dire la vérité ne l'est pas non plus. Hésitant, troublé, tu ne sais quoi faire. Elle est l'unique à toucher ton coeur, à le lui ouvrir complètement en le laissant à découvert. Mina est ton nouveau tout. Mais faire d'elle ton unique amour n'est pas dans tes plans, la lueur d'espoir ne quittant pour autant jamais ton regard embrasé, consumé par un désir inexploré et inconnu.