Adrian est né d’un couple russe très aristocratique de Kowalinski. C'était le genre de famille à se rendre dans des soirées mondaines, des galas de bien-faisance et toutes ces conneries qui n'attirent que des riches avides de savoir quelle est la dernière compagnie à avoir été ruinée ou de quelle couleur était la culotte de la fille du tsar au mariage de leur cousin. Et bien entendu, le pauvre était toujours entraîné par ses parents. Alekseï, son père, homme très fier, ne cessait de vanter les mérites de son fils, il en venait même à mentir parfois...

« Oh vous savez mon fils est un grand fan de football. Je pense d'ailleurs que c'est cette passion qui le rend si bon dans ce domaine ! »

« Cela va de soi. Le football est un sport de grand homme après tout. »

« Papa qu'est-ce que tu racontes ?! Moi c'est le rugby que j'aime. Et vous savez monsieur, j'ai pas obtenu un bulletin exemplaire comme le dit mon père ! Au contraire il était bien médiocre, pour vous dire la vérité. »

L'interlocuteur de son père leur lança un regard choqué, et il s'éloigna. Quant à Alekseï... Il empoigna son fils par l'épaule, tira sa femme d'une discussion concernant ses nouvelles chaussures, entra dans sa camaro rouge pétante et conduisit à toute vitesse jusqu'à chez lui. Une fois là bas, il gifla violemment Adrian et il lui ordonna de ne plus quitter sa chambre pour le reste de la soirée. Et ça avait commencé comme cela.


Adrian était comme ça : tout le contraire de son père. Il aimait le rugby, pas le foot, il fumait comme un pompier, tandis que les poumons d’Alekseï devaient être intacts, il sortait au bar, presque autant de fois qu’Alekseï se rendait à des soirées mondaines, il aimait les pâtes et les pizzas, son père aimait le foie gras tendre sur son lit de toast fin et sa couverture sauce mimosa. Leur unique point commun ? La violence. Ils avaient tous les deux ce besoin de frapper. Cogner. C'était presque aussi vital que la respiration. Adrian réglait ce problème en allant dans des fights club, quant à son père... Dès que son fils faisait une connerie, il se défoulait sur lui. Le jeune ne ripostait jamais, il encaissait. Puis il rendait tous ces coups dans ces fameux fights club. Un soir pourtant, sur une expérience qu'il tenta pour voir si son père l'aimait ou pas, Adrian prit une importante décision.

« Quoi ?! La mécanique ? Mais tu es complètement fou ma parole! C’est pour les voyous, tu te vois vraiment construire ton avenir autour de conneries comme des voitures et des motos ? D’ailleurs je te confisque ta moto. Et quant à ton avenir, j’exige que tu hérites de mon entreprise ! Mon Dieu, qu’ai-je donc fais pour avoir un abruti de fils comme celui-là ! »

« Tu peux me frapper et m'insulter autant que tu le voudras. Ca ne changera en rien ma décision. C'est ma vie, je fais ce qui me plaît et t’as pas ton mot à dire là-dedans. »

« Comment ça je n'ai rien à dire ? Je suis ton père! De quel droit tu me parles sur ce ton ? Si aujourd’hui tu en es là, c’est grâce à moi ! Toutes ces fringues, ces jeux vidéos, ces études qui te sont offertes sur un plateau… C’est tout grâce à moi ! Espèce de déchet humain, fils indigne ! »

« Je veux bien admettre que tu as tout fait jusque là pour moi. Mais aujourd'hui, tu es en train de me détruire, papa ! Et si tu tiens vraiment à ce que je te rembourse pour tout ça… eh bien tu peux compter sur moi. De toute façon, j’me casse de cette sale baraque, espèce d’enfoiré ! »

« Je t'interdit de m'insulter, chien galeux ! »

A chaque insulte lancée, Alekseï  battait son fils, hargneux, brutal. Il déversait toute sa frustration de ne pas avoir LE fils parfait en frappant Adrian. Chaque coup semblait porter toute la haine du monde. Soufflant un peu pour se contenir et ne pas faire une connerie du genre riposter lui aussi, Adrian plongea ses yeux dans ceux de son père :

« Vas-y. Frappe-moi. De toutes tes forces. »

Il espérait que son père ne ferait pas cette connerie. En le cognant de toutes ses forces, Alekseï lui donnerait ainsi la preuve qu'il ne l'aimait vraiment pas, qu’il n’était rien à ses yeux. Adrian s'échapperait alors. Il s'enfuirait, quitterait ce monde ingrat et snob. Il irait vivre chez son oncle qui habitait non loin de chez eux, seule personne qui lui porte un intérêt réel. La seule personne qui, dans cette famille, le ressemblait un peu. Il ferait ses études en mécanique, comme il l’avait toujours voulu, puis il se choisirait son métier et il vivrait de cela. Il vivrait sa vie. Finalement, le coup arriva.


Adrian n’avait que dix-sept ans, sous la majorité, lorsque l’incident était arrivé. Depuis, il vivait sous la responsabilité de son oncle Igor, étonnamment riche lui aussi, qui n’hésitait pas à exaucer le moindre de ses désirs. Mais jamais le jeune Staklar n’avait abusé de la générosité de son oncle. Aussi impulsif que son neveu, il choisit de déménager à Saint-Pétersbourg avec son protégé. Sa venue chez lui marquait un tournant dans sa vie, et c’était une occasion pour lui aussi de prendre un tout nouveau départ.

« Je veux que tu m’écoutes attentivement Adrian… A partir de maintenant, tu oublies toutes ces conneries. »

« De quoi tu parles, tonton ? »

« Ces histoires de fight club. Ces gens que tu tabasses et qui te défigurent en retour… C’est fini maintenant. Je ne veux plus en entendre parler. C’est un secret à partir de maintenant, profondément enfoui, comme une hache de guerre, on ne la déterre plus. Suis-je clair ? »

Le ton était ferme. Pas question de discuter donc… Bizarrement, son oncle dégageait une incroyable aura de respect, et Adrian se pliait à ses exigences sans jamais protester malgré son côté rebelle.

« A condition que tu me laisses faire les études de mon choix alors. »

« Et c’est la bonne réponse, fiston. Néanmoins… il y’a quelque chose que tu dois savoir. »

Et son oncle enchaîna alors sur le récit de comment il était devenu membre de la Bratva, autrement dit, la mafia russe. Adrian n’en croyait pas ses oreilles, c’était fou comme un homme, d’apparence aussi simple que son oncle, pouvait cacher un si lourd secret. Et… quelque part, l’idée lui plaisait.

« Je veux en être. » avait annoncé Adrian, sans réfléchir davantage. Il se sentait orphelin depuis la querelle avec ses parents. Et la Bratva était pour lui une manière de se trouver une nouvelle famille. Et surtout, de l’argent. Et après tout, il avait déjà un pied profondément enfoncé dans la délinquance… Alors pourquoi ne pas continuer ? Son oncle attrapa sa main et, à l’aide d’un canif, lui fit une petite entaille qui n’arracha même pas une seule grimace à Adrian :

« Ceci est un lien de sang. Et si tu violes ce serment, alors ton sang coulera. »


« Hey toi là-bas… Je vo… »

« C’est toi mon dealeur ?! »

« Hum… Je te demande pardon ? »

« Pff… »

« Oh attends, pars pas, non je ne suis pas ton
dealeur mais plutôt celui qui te paiera un ou deux verres. Enfin si tu me montres la direction. Je viens d’arriver à Saint-Pétersbourg et je suis assez paumé pour le moment. T’en dis quoi ? »

« T’as pas l’air d’avoir la majorité toi... »

« Et toi non plus, mais à ce que j’ai compris, tu te drogues… »

« Ca te pose un problème peut être ? »

« Non, et toi, ça te pose un problème de boire un verre avec moi ? »

« …Non plus. »

Et voilà, la rencontre avec celle qui fit chavirer le cœur de l’ex-combattant, le beau russe rebelle. Suite à cet échange plutôt froid, Adrian réussit à cerner sa personne. Il découvrit tous ses secrets, il détruisit toutes ses mauvaises habitudes telles que la drogue et sa froideur, et en échange il obtint son amour et sa virginité. Plusieurs années durant lesquels il eut l’agréable impression de rêver, de flotter sur un nuage. Julia se montrait adorable avec lui, elle l’encourageait dans sa voie, elle acceptait de l’écouter parler de ce père tant détesté. Elle savait tout de son passé violent, de sa situation actuelle de délinquant, tout comme lui, il connaissait les moindres détails de toute sa vie. Oui, c’était bien de l’amour. Incroyable non ? Qui aurait pu penser qu’un tel macho aux idées fermées et arrêtées puisse… aimer au point d’en devenir presque niais ? Pas moi en tout cas.


Mais Adrian avait été trop niais justement. Aveuglé par son amour pour elle, il ne s’était pas rendu compte que cette relation n’avait été qu’à sens unique. Julia ne l’aimait pas. Elle avait ressenti le besoin d’être aimée, de se sentir importante, et en cela, elle s’était servi du jeune homme. Adrian s’était donné à corps et âme au sein de cette relation qui, au final, n’avait été que destructrice pour lui. Car oui, il était tombé sur Julia, sa Julia, dans les bras d’un autre. Sa haine avait été telle qu’il n’avait pas pu s’empêcher de tabasser son amant. Quelque part, dans un coin de sa tête revenait la voix de son oncle qui lui avait bien interdit de se montrer violent. Depuis qu’il vivait à Saint-Pétersbourg, il avait une couverture à assurer… Son job de mécano cachait en fait un mafieux qui rendait visite à chaque client endetté, afin de leur mettre la pression, au moyen de menaces ou de tortures. Adrian n’était qu’un bloc de glaçon après tout. Il exécutait toutes ces sales tâches sans le moindre sentiment, sans aucun remord. Et la seule personne qui lui donnait cette impression de vivre pleinement venait de lui briser le cœur. Ca avait été la goutte de trop, de quoi le faire sombrer définitivement dans son mal-être.


Cependant, c’était sans compter sa rencontre avec Nastasya. Cette blonde douce, gracieuse, aux allures fragiles… Elle l’attirait tellement. Elle parvenait à lui procurer ce que Julia lui donnait auparavant. Un sentiment d’existence. L’impression de revivre, dans ses bras à elle. Il l’avait baisé une fois, deux fois, trois fois… Petit à petit, Adrian était tombé dans l’addiction. Il ressentait le besoin de passer voir Nastasya, et de partager son lit pour qu’elle balaye tous ses problèmes le temps de quelques heures, à l’aide de ses caresses et de ses baisers. Mais rien n’était simple. Car Nastasya n’était qu’une pute de la Rose Rouge, au final. Et elle ne serait jamais rien de plus. Tout comme Adrian ne serait jamais rien de plus qu’un simple pion dans la mafia russe.