Je suis assise dans le coin de la chambre le plus éloigné du lit encore défait. Je suis en shorty et soutien-gorge de dentelle, une chemise de bûcheron toute douce enfilée par-dessus pour cacher ma nudité. Mes jambes repliées devant moi, je suis en état de choc, le regard perdu dans le vague. En peu de temps, je me retrouve à sangloter, la tête sur mes genoux. Mais comment j'ai fait pour en arriver là?

Je suis née le 16 septembre 1995 dans un tout petit appartement d'un quartier pauvre de St. Pétersbourg. Mon père est ouvrier et ma mère femme de ménage: ce sont d'honnêtes travailleurs qui vivent très bien avec un revenu modeste, qui sont toujours débordants d'amour malgré leur vie difficile. Très vite, je suis devenue l'aînée de cinq filles et, mes parents étant souvent absents, j'ai dû apprendre à être responsable et mature. Je m'occupais de la maison, de mes sœurs, tout en essayant de conjuguer tout ça avec mes études, que je faisais par correspondance. Je voulais rendre mes parents fiers et me donner les moyens de faire le métier de mes rêves, de m'en sortir seule et d'être fière du parcours que j'avais accompli.

J'ai fini mon cursus scolaire et j'ai commencé mon année de préparation au concours de police. J'avais du mal, non pas que ce soit compliqué, j'étais brillante. Simplement il me devenait de plus en plus difficile de tout conjuguer. Je faisais trois petits boulots en même temps pour essayer de joindre les deux bouts en fin de mois, je devais aussi m'occuper de la maison et de mes sœurs et tout ce qui s'en suit. Je relâchais mon attention en cours, j'avais du mal à me concentrer, j'avais de moins en moins d'heures de sommeil par nuit. Je commençais à sombrer lentement dans un enfer intenable.

Je continuais graduellement à m'enfoncer dans un pétrin pas possible, prenant de plus en plus de petits boulots, j'étais au bord du trou. Pourtant, je ne lâchais jamais mon optimisme à toute épreuve, ni ma détermination. Je voulais y arriver sans aide. Mes parents m'ont toujours dit que j'étais une battante, têtue, débrouillarde et courageuse. J'ai un vrai tempérament de cochon quand je m'y mets. Mais un jour, ça n'a plus été possible. Je me suis évanouie pendant un cours de maniement d'armes à feu. Ils m'ont dit que j'étais trop fatiguée pour poursuivre le cursus. Tout autour de moi s'est effondré. Je ne pouvais pas rentrer chez moi et annoncer à mes parents que j'avais été virée parce que je faisais trop de choses autre pour gagner de l'argent et essayer de leur donner moins de travail. J'ai décidé de tout prendre sur moi et je suis partie en ville pour essayer de trouver une alternative.

Alors que je flânais devant des boutiques chics, en vieux jean et baskets élimées, un homme d'allure très élégante est venu vers moi. Il portait une rose rouge dans la poche de son costume, ainsi qu'un mouchoir brodé. J'ai dégluti difficilement. J'avais entendu des discussions sur une certaine Rose Rouge lors de mon stage dans la brigade anti-proxénétisme. L'homme m'a sourit, puis a tourné les talons. J'ai compris que j'avais le choix de le suivre ou de retourner sans rien chez mes parents. Je l'ai suivi.

Oui, c'était lâche. Oui, je pleure à chaque fois qu'un client quitte ma chambre. Oui, mes rêves ont été détruits. Oui, ma jeunesse a été brisée. Mais je fais ça pour ma famille, qui depuis un an que je suis là, croit que je travaille honnêtement dans la police. C'est dur, c'est vrai. Je n'ai pas le choix, c'est vrai aussi. Mais je peux m'en sortir, je le sais, et j'y arriverai un jour. Parce que je suis une battante.