Ma mère était une de ces beautés qu’on n’oublie jamais une fois qu’on l’a rencontrée.  En tout cas, c’est ce que mon père ne cessait de répéter parce que moi, je ne l’ai pas connue.  Elle a succombé à un anévrisme alors que je n’avais pas un an et pour combler le vide que sa perte représentait pour nous deux, papa a décidé de faire de moi une princesse.  Et quand un gosse est pourri gâté, vous savez ce que ça donne, non ?  Je n’ai pas échappé à la règle, l’obéissance n’a jamais été vraiment mon fort et j’ai tendance à me croire tout permis.  Aujourd’hui ma confiance en moi est sans faille, mais ça n’a pourtant pas toujours été le cas, loin de là !  J’ai même été la fille la plus complexée de la planète à un moment donné de ma vie.  Pourquoi ? A cause de cette putain de puberté !  Elle ne m’a pas épargnée, j’ai vécu ça comme une traversée des enfers et j’aurais très bien pu ne jamais m’en sortir.

C’est dans une école privée que j’ai fait toute ma scolarité.  Papa étant un homme d’affaires très prolifique, j’avais cette chance d’évoluer dans un environnement où l’argent coulait à flots et forcément, il était hors de question que la petite princesse que j’étais se mêle au peuple !  Et accessoirement aux garçons, parce que dans cette école, filles et garçons étudiaient dans des bâtiments séparés géographiquement de plusieurs kilomètres.  J’étais donc entourée de filles tout le temps et ce qui n’était pas dérangeant quand j’étais gamine est devenu franchement chiant une fois que mon horloge biologique s’est éveillée.  J’avais… comment dire… De l’appétit.  Ne me demandez pas d’où ça vient, je n’en ai pas la moindre idée, mais avant même de goûter au gâteau, je savais que sa saveur hanterait mes papilles.

Sauf que voilà, l’adolescence n’a pas été gentille avec moi, loin de là !  J’étais myope, j’ai grandi d’un coup de beaucoup de centimètres et j’étais très maigre.  Je voyais mes copines développer des formes féminines que je rêvais d’avoir mais mes seins ne poussaient pas et alors qu’elles me racontaient leurs petites histoires d’amour, moi je restais sur la touche, j’avais rien à dire bien entendu !  Franchement ça me minait.  Mal dans ma peau, j’avais alors tendance à être plutôt agressive, à faire la gueule tout le temps… Enfin vous voyez le genre quoi.  Si maman avait été là peut être qu’elle aurait pu me rassurer en me disant qu’elle aussi à l’adolescence avait connu cette période où son corps ne ressemblait à rien, que ça allait changer, mais papa ne trouvait rien d’autre à me dire que « tu es magnifique ma fille ! », ce qui était loin de me rassurer parce que je n’y croyais absolument pas.  

A l’école, j’étais bonne élève.  Les autres nanas n’étaient pas du genre tendres avec moi, je détestais les moments de pause parce que je n’avais rien à leur dire et que je détestais être la cible de leurs railleries.  J’étais devenue un véritable garçon manqué parce que je m’habillais de façon à camoufler mes formes, ou plutôt les formes que je n’avais pas !  J’ai commencé à jouer des poings et à leur casser la figure quand elles m’emmerdaient trop, ce qui m’a valu pas mal de sanctions disciplinaires.  Je m’en fichais, au moins elles avaient la gueule de travers pendant quelques jours et ça me comblait de bonheur !  C’était ça, ma vie à l’époque.  Cocoonée chez moi, malmenée à l’école, avec un putain de caractère qui me faisait me haïr.  Je détestais mon corps, j’en avais honte, je me sentais frustrée de ne pas être convoitée par les mecs et… Bordel j’avais faim !

C’est dans cet état d’esprit que je me suis envolée pour les USA.  J’ai décidé d’étudier les langues puisque j’étais plutôt douée pour ça, et j’avais trouvé une chouette école en Californie.  Changer d’air, ça ne pouvait que me faire du bien, mais je n’imaginais pas à quel point !  Quelques semaines seulement après mon arrivée, j’ai été accostée par ce gars à l’air sévère qui s’est présenté comme un « chasseur de mannequins ».  Son job, c’est de repérer les futurs rois et reines des podiums et pour lui, j’avais un potentiel énorme.  Vraiment ?  Je ne lui ai pas répondu de la manière la plus polie qui soit, je pensais vraiment qu’il se foutait de moi.  Mais quand il m’a dit que je n’aurais pas un cent à débourser, qu’on allait s’occuper de faire ressortir ma beauté et que je ne me reconnaîtrais pas, je n’ai pas pu résister, il fallait que j’essaie, que je croie aux miracles.

D’abord, on m’a offert une opération pour corriger ma myopie.  Ne plus devoir porter de lunettes, ça a carrément changé ma vie et c’était le premiers pas de la transformation.  Soins de la peau, nouvelle coiffure, maquillage… Pendant trois ans j’ai appris à me sublimer en exerçant mon métier de mannequin.  Mes études m’empêchaient de l’être à temps plein, mais ça ne m’empêchait pas de prendre la pose pour quelques campagnes et découvrir ainsi que ma beauté n’avait rien à envier à celle des tops à la mode.  J’ai appris à me tenir, à marcher, chaque jour qui passait m’emplissait d’un peu plus de confiance en moi.  C’est un vilain petit canard qui s’est envolé pour l’Amérique, c’est le plus beau des cygnes qui est revenu en Russie.  J’avais obtenu mon diplôme et parlait à présent quatre langues, mais j’avais déjà un job, celui de défiler sur les podiums, de poser pour des campagnes de pubs de plus en plus prestigieuses.  Je m’étais fait un nom dans le milieu et vous savez quoi ?  Je n’avais plus faim…  Plus du tout !

Dès les débuts de ma transformation, ma relation avec les hommes a changé du tout au tout.  Je pensais que j’allais aimer le sexe… En fait j’ai adoré ça, dès le début !  Le faire me donnait envie de recommencer et je rattrapais le temps perdu, faisant fi de toute morale.  Enfin j’étais moi, enfin je me libérais, enfin je vivais ma vie pleinement !  Je gagnais plus que bien ma vie grâce à un corps que j’avais longtemps détesté et qui était devenu mon arme fatale.  Tout à coup ma vie sociale était plus que bien remplie, je sortais beaucoup, me déhanchais dans les Clubs à la mode de Saint-Petersbourg.  C’est comme ça que j’ai rencontré Matt, entre deux piña coladas et deux spotlights.  Quoi… Vous croyez que c’est mon mec ?  Franchement j’ai une tête à être en couple ?  Matt c’est mon colocataire, mon amant, je suis son inspiration, sa muse…  On baise ensemble et cette activité commune est devenue pour nous une drogue vers laquelle nous courrons chaque jour que dieu fait.  Lui et moi c’est intense, violent, déconcertant, épuisant, sauvage, libérateur, enivrant, bestial, insensé, et je crois que ça vaut toutes les relations de couple du monde !