Tout était réuni pour que ma vie soit agréable. Fille unique, je suis née à São Paulo dans une famille où l’argent n’était pas un problème. Mes parents travaillaient tous les deux dans le même garage, papa à la vente des voitures, maman à la comptabilité. Si on ne roulait pas sur l’or, les deux salaires cumulés permettaient de bien vivre. Ces deux là étaient faits l’un pour l’autre, ils s’aimaient vraiment et étaient un exemple pour leur entourage. J’avais de la chance et bien entendu, les voir me poussait à rêver de prince charmant digne de Disney.

Enfant, j’étais une petite fille timide qui avait du mal d’aller vers les autres. Il me fallait un peu de temps pour oser, j’avais besoin de me sentir à l’aise. En fait à la récréation, j’avais plus souvent mon nez plongé dans les bouquins qu’autre chose. J’aimais beaucoup la lecture, j’étais curieuse de découvrir les choses, mon esprit fonctionnait à deux cent à l’heure, j’étais vive et enthousiaste. Quand on me demandait ce que je voulais faire dans la vie, je répondais « Docteur ! », parce que je suivais une tele novelas dans le milieu médical et que je trouvais ce qui s’y passait passionnant. Enfin ça, c’était quand j’étais enfant… J’ai ensuite trouvé des raisons bien plus sérieuses de m’intéresser à la médecine, je vous rassure.

Enfance privilégiée donc, et une adolescence qui démarrait sous les mêmes auspices. J’avais un peu plus confiance en moi, j’étais moins timide et je commençais à m’ouvrir aux autres, à sortir avec des amis. A l’heure où mes copines commençaient à flirter avec les garçons, moi je n’avais pas vraiment de succès avec eux. Trop grande, trop maigre, je ne savais pas encore vraiment me mettre en valeur et me contentais de vêtements passe-partout qui ne les faisais pas se retourner sur moi. C’est là qu’une amie a décidé de s’occuper de mon cas et de me relooker. Elle était du genre victime de la mode et hyper féminine alors autant vous dire que j’ai dû la freiner un peu pour ne pas devenir la version humaine de Barbie ! Mais j’ai appris à m’habiller de façon plus féminine et à manier le mascara pour mettre mes longs cils en valeur, la jeune fille en herbe que j’étais était contente.

Mais à quinze ans, ma vie a basculé avec la mort de mon père. C’est une crise cardiaque qui a eu raison de lui et dès les jours suivants, j’ai ressenti un manque énorme qui m’engloutissait. Maman était terriblement malheureuse d’avoir perdu sa moitié, elle errait dans la maison sans plus rien y faire et j’ai dû m’occuper d’elle comme si elle avait cent ans. Je me suis mise à faire la cuisine, le ménage, les courses… Bien entendu ça a eu un impact sur mes notes au lycée mais je m’en fichais, je ne pouvais pas laisser maman, elle était bien trop mal pour ça.

C’est au détour d’une rue que j’empruntais tous les jours qu’un nouveau drame m’a frappée. J’avais été faire des courses et je rentrais chez moi quand une main calleuse s’est posée sur ma bouche pour étouffer mon cri. Je me suis retrouvée tirée vers un vieil entrepôt désaffecté où j’ai vécu les heures les plus longues de mon existence. Ils étaient trois et ils m’ont violée l’un après l’autre, plusieurs fois. Si j’ai lutté longtemps, j’ai fini par les laisser faire, je n’avais plus de force pour me battre et de toute façon ils étaient deux pour me tenir pendant que le troisième me pilonnait avec rage. Ma première expérience sexuelle… On peut faire mieux, n’est-ce pas ? Quand ils sont partis, je suis restée sans bouger pendant deux bonnes heures, à pleurer toutes les larmes de mon corps, terrifiée. Cet événement, c’est ce qui a réveillé ma mère de son état catatonique. Quand elle m’a vue rentrer presque nue et tremblante, elle a été folle d’inquiétude, surtout qu’il m’a fallu longtemps avant de lui avouer ce qui m’était arrivé. J’ai passé des heures dans la salle de bains à frotter ma peau avec vigueur, comme si je ne parvenais pas à la nettoyer de ses souillures… Ca l’a mise sur la voie.

Je ne voulais plus sortir seule. J’avais peur, je ne laissais plus un homme m’approcher, je me méfiais de tout et de tout le monde. Ca m’a valu d’être déscolarisée parce que j’étais psychologiquement trop fragile, j’ai dû dire adieu à mes rêves d’université, je ne serais jamais médecin. Mais le viol n’avait pas eu que cet impact sur ma vie. J’étais enceinte… La nouvelle est tombée comme une masse sur le coin de ma tête : j’allais être mère, et le père n’était autre qu’un enfoiré de violeur dont je ne savais rien, dont je ne connaissais même pas le visage. J’étais révoltée, folle de colère, je ne voulais pas de cet enfant ! Oui mais voilà… Pour ma famille il était hors de question de parler d’avortement. Catholiques convaincus, c’était une solution qui n’était même pas envisageable. Ma mère ne cessait de me répéter que c’était les desseins de Dieu, que cet enfant devait forcément avoir été conçu pour une bonne raison, que je n’avais pas le droit de tuer un être humain innocent.

C’est elle qui a tout fait. Elle a préparé la chambre, elle a acheté les jouets, les grenouillères, tout ce dont on a besoin pour élever un bébé. Je ne voulais pas donner mon avis, je m’en fichais complètement. Si elle ne voulait pas que je me débarrasse de ce fardeau, alors elle n’avait qu’à s’en occuper, je ne voulais pas en entendre parler, c’était le symbole de la pire épreuve que j’avais eue à traverser. Et puis Amalia est arrivée. Ce que je considérais comme un monstre quand il était dans mon ventre était en fait une petite fille dont les grands yeux ont conquis mon coeur en une seconde. Soudain mon instinct maternel se réveillait et elle devenait ce que j’avais de plus précieux dans l’existence.

Les années suivantes, je n’ai eu de cesse de remercier ma mère de m’avoir empêchée d’avorter. La venue d’Amalia avait tout changé, j’avais repris une vie normale pour elle, trouvé un travail de téléphoniste dans une grosse entreprise. Malheureusement maman a fini par nous quitter elle aussi. Elle est morte comme papa, d’une crise cardiaque foudroyante. Heureusement j’avais Amalia à laquelle m’accrocher. Pour elle je devais donner le meilleur de moi, garder la tête hors de l’eau et me battre pour qu’elle ne manque de rien. Ma vie amoureuse n’était pas un modèle de réussite mais j’avais pu passer au-dessus du traumatisme et sortir avec quelques hommes. Si aucun n’a pu s’accaparer mon coeur, je leur ai donné mon corps, refusant que mon agression m’empêche de vivre comme n’importe quelle femme de mon âge.

Après le deuil, la vie a donc repris son cours. J’avais déménagé, préférant un appartement plus petit et plus en phase avec mon salaire pour élever ma petite fille. Amalia grandissait bien, c’était une petite fille pleine de vie et heureuse, la prunelle de mes yeux. Nous étions fusionelles toutes les deux, rien ne semblait pouvoir ternir mon ciel si bleu. Jusqu’à ce qu’une camionnette s’arrête devant nous dans un crissement de pneus et que ma petite fille de cinq ans me soit enlevée par des hommes armés jusqu’aux dents. Ils ont pris soin de m’emmener avec eux pour me donner leurs instructions. J’allais être contactée dans quelques jours et on me dirait ce que je devais faire. Jusque là, si j’appelais la police ma fille était morte, si j’en parlais à qui que ce soit, ma fille était morte, si je refusais de faire ce qu’on attendait de moi, ma fille était morte.

L’homme qui est venu trois jours plus tard ressemblait à un vieillard inoffensif. Il m’a donné un faux passeport et un billet d’avion pour la Russie. Une voiture m’attendrait à l’aéroport et là-bas j’aurais de nouvelles instructions. Il m’a montré un film où on voyait ma fille dans une chambre d’enfant, entourée de jouets. C’est la vie qu’elle aurait si je coopérais. Elle vivrait dans le confort et ne manquerait de rien. Si je faisais un pas de travers, alors elle serait immédiatement exécutée. Autant vous dire que je l’ai pris cet avion pour la Russie ! A l’aéroport, un chauffeur de limousine m’attendait avec un carton portant mon nom. Il n’a pas décroché un mot jusqu’à la voiture dans laquelle un homme m’attendait et c’est là que j’ai découvert quel était mon nouveau destin. Les filles comme moi étaient très recherchées par les riches hommes d’affaires qui pouvaient dépenser des fortunes dans les bordels. On allait me conduire à la « Rose Rouge », où je serais une prostituée. Si j’avais du succès, si je gagnais beaucoup d’argent et que j’envoyais de belles sommes au Brésil, alors ma fille serait épargnée et on prendrait bien soin d’elle. J’avais donc intérêt à me montrer convaincante avec les clients, à leur donner envie de revenir. C’est ce qu’il m’a dit… Et c’est ce que je fais depuis trois ans, dans cet enfer de volupté où les corps s’unissent de gré ou de force, où l’argent et le champagne coulent à flots. Aucun de mes clients ne sait que je ne suis pas une pute consentante mais une mère qui se bat jour après jour pour la vie de son enfant. Mais s’ils savaient… Est-ce que l’un d’eux voudrait m’aider ? Je ne crois pas… Personne ne pourra me sauver.